2024
LE CAP CORSE, LA VIGNE ET LE VIN
Il nous a semblé intéressant d’aborder ce sujet car la culture de la vigne dans le Cap Corse a été pendant des siècles une activité agricole primordiale et le commerce du vin cap corsin, un enjeu géopolitique et financier majeur. Depuis l’antiquité, les vins corses, les vins blancs et surtout le muscat étaient appréciés par les notables de toute la péninsule italienne. Cette demande a entrainé une activité agricole orientée vers la culture de la vigne (près de 80% des terres cultivables y étaient consacrés) entrainant l’arrivée de nombreux saisonniers. Parallèlement, le commerce du vin a stimulé la flotte marchande, renforcé la protection du commerce maritime, créé bon nombre d’entreprises individuelles, engendré des convoitises et étendu l’influence de la Corse dans tout le bassin méditerranéen. Ce commerce a permis surtout de financer l’achat de blé dont la Corse était dépourvue.
Cette journée fut organisée autour de conférences par des historiens locaux avec le commerce du vin corse avec la Terraferma aux XVIIe-XVIIIe siècle (E Miceli) et les présages à l’implantation et au financement des tours côtières en Corse (R. Casier).
A.M. Graziani a développé les deux termes de l’échange pour les Cap corsins : le vin et le blé, suivi par les éléments historiques et patrimoniaux sur le vin en Corse (JC. Liccia). C. Paoli-Ciavaldini a poursuivi et conclu cette journée par la vigne et le vin d’hier et d’aujourd’hui à Morsiglia.
Ces conférences ont été illustrées par des dégustations organisées par l’association des sommeliers de Corse de divers vins (en matinée) et muscats (l’après-midi), tous issus des vignobles de la pointe du Cap Corse (Rogliano, Porticciolo, Santa Severa, Morsiglia).
Interventions
Erick Miceli
« Le commerce du vin corse avec la Terraferma aux XVIIe-XVIIIe s. »
Le vin corse a très bonne réputation et ce depuis le Moyen-Âge grâce au développement du commerce maritime entre la Corse et le continent et surtout Rome où le muscat était particulièrement apprécié des papes. Mais pas que. A Gène aussi le vin corse est très demandé. Erick Miceli nous décrit les réseaux génois de vente de vin destinés à enrichir Gène où toute exportation fait l’objet d’un impôt : le « méso scutto » (exportation sur Gène) vient se rajouter au « scutto al botte » (exportation à Rome) à la satisfaction des finances génoises mais pas des cap corsins. Erick Miceli nous rapporte également quelques exemples de la littérature de l’époque mettant en exergue le vin capcorsin.
Antoine-Marie Graziani
« Les deux termes de l'échange pour les Cap corsins : le vin et le blé »
Du fait de leur dynamisme, les cap corsins, considérés par les génois comme des nantis dans la culture de la vigne et le commerce du vin, vont être convoités et surtout assommés de taxes. Ces taxes reposent principalement sur l’exportation de leur vin vers Rome et Gène. A cela vient s’ajouter le fait que le Cap Corse produit dans son ensemble très peu de blé avec une grande disparité selon les villages. La production locale de blé étant insufisante, l’importation de cette denrée de base va faire l’objet elle aussi d’une taxe. Là encore les Génois en profitent et jouent ainsi sur les deux tableaux. Les Capcorsins, dépendants de ces importations de blé et d’exportations de vin, n’ont cessé de contourner ces taxes.
Jean-Christophe Liccia
"De la terre à la mer : éléments historiques et patrimoniaux sur le vin en Corse"
J.C. Liccia nous fait voyager dans le temps et nous rappelle que le Cap Corse n’est pas totalement vinicole et que la production était principalement destinée à l’exportation et très peu à la consommation locale. Cette exportation nécessitait des autorisations spécifiques du « fermier de l’impôt sur le vin » et les archives nous dévoilent les quantités de vin exportés et l’importance du rôle des marines du Cap Corse dans le stockage et le transport du vin. Les stratégies et les techniques de transports à terre ou en mer étaient différentes selon que l’on faisait voyager du mou (avant fermentation) ou du vin mature.
La production vinicole était un travail de fourmis ou chaque parcelle de vigne avait son « palmentu » et on pressait le raisin sur place, en petites quantités, qui étaient transportées à dos de mulet ou d’âne vers les marines.
J.C. Liccia conclut cet exposé par des récits littéraires sur l’image et la qualité du vin capcorsin dans le bassin méditerranéen.
Sophie Mirande
Atelier 1 : sommellerie-dégustation : « A.O.P. Vins Coteaux-du-cap-corse »
Il y a actuellement 5 955 hectares de vignes dans toute Corse. Au XIXe siècle il y en avait 7 000 uniquement au Cap Corse ce qui souligne l’importance de la culture de la vigne et sa puissance commerciale ici même à Morsiglia. L’association du climat, des sols, de l’ensoleillement, de la salinité avec la proximité de la mer, fait que le Cap Corse bénéficie d’atouts exceptionnels.
Pour les vins, l’appellation d’origine protégée (AOP) coteaux du Cap Corse ne couvre que 26 hectares de la pointe du cap, sur un sol schisteux, pour 6 vignerons qui produisent 950 hectolitres de vin à partir des cépages : Nielluccio, Sciaccarellu, Grenache, Vermentino pour les Blancs. Ils allient la finesse aromatique sur les notes orales, d’agrumes et surtout sur cette touche en filigrane iodée, saline de par les embruns marins.
Les rosés, à déguster jeunes, sont très expressifs, tendus, fruités, dotés d’une jolie minéralité. Enfin les rouges sont structurés, renforcés par la culture en terrasses exposées plein soleil et les tanins, un petit peu soyeux, vont apporter une belle tenue à la garde.
Caroline Paoli-Ciavaldini
« La vigne et le vin d’hier et d’aujourd’hui à Morsiglia »
Morsiglia a été depuis des siècles tourné vers la culture de la vigne occupant 80% de ses terres cultivables qui descendaient en terrasses jusqu’au niveau de la mer. Les méthodes de culture et d’entretien de la vigne n’ont pas trop changé si ce n’est les dates de vendange décalées par le réchauffement climatique. Cette explosion économique pour la région a été stoppée au cours du XIXème siècle par l’apparition de deux maladies : le phylloxéra et l’oïdium qui ont ravagé les vignes de toute l’Europe. Les méthodes de vinification ont évolué par une meilleure maitrise de la fermentation notamment avec des cuves thermo-régulées.
La tradition capcorsine de passerillage du raisin muscat (le but recherché est de faire évaporer par exposition au soleil le trop d’eau du raisin afin de concentrer les sucres naturels) a été préservée sur le domaine avec séchage de l’ensemble de la récolte sur des terrasses en lauzes et qui est devenu la marque de fabrique du domaine.
Sophie Mirande
Atelier 2 : sommellerie-dégustation : « A.O.P. Muscat-du-cap-corse »
L’appellation AOP Muscat-du-cap-corse va de la pointe du Cap Corse à Saint-Florent sur des sols constitués de schistes, d’alluvions, de sédiments, de limons et de calcaires cristallins qui vont apporter à chaque vin de la finesse, de l’élégance, mais aussi du corps et de la matière. Il n’y a que cinq vignerons producteurs de muscat dans la pointe du cap. Le cépage est le muscat à petits grains avec différentes techniques de vinification : passerillage (enrichir le raisin en sucre) soit sur souche soit hors souche (exposer le raisin au soleil sur des lauzes). Les muscats du Cap Corse sont naturellement doux et délicats, aromatiques. Ils arborent une robe jaune clair à ambrée, et dès la Renaissance, ont été jugé comme le meilleur des vins de Méditerranée.
Une dégustation avec commentaires des productions des six vignerons de la pointe du Cap Corse : Morsiglia (2), Macinaggio (2), Porticciolo et Santa Severa a suivi cette description des vins et muscats.