2023

CAP CORSE ET PIRATERIE

La mer Méditerranée n’a pas toujours été « ce toit tranquille où marche des colombes » que célébrait Paul Valéry. C’est ce que nous ont donné à voir les riches communications présentées lors de la Journée du 8 juillet 2023 organisée à Morsiglia par l’association « Morsiglia Patrimoine », avec le concours de la municipalité de Morsiglia.

De l’Antiquité jusqu’au début du XIXe siècle, la mer a été de façon permanente le théâtre de conflits entre les empires, les cultures et les religions qui ont fleuri sur ses rives nord et sud : Phéniciens, Étrusques, Romains et Carthaginois, Arabes, Turcs, Espagne, France, Papauté, Républiques italiennes. C’est pourtant elle qui fait l’unité de ce monde méditerranéen constitué d’éléments qui se ressemblent et qui s’opposent sans cesse. Jusqu’à la conquête de l’Algérie et à la colonisation du Maghreb et du Machrek, le danger sur mer est multiple.

De façon endémique, la piraterie des Barbaresques, ceux qu’on appelle « i Turchi », et qui sont aussi des Arabes et des Berbères, sévit sur la mer où elle arraisonne, pille et envoie par le fond les bateaux marchands.
Mais elle sévit aussi sur les côtes où les pirates razzient les populations, alimentant un vaste et lucratif commerce de rachat des esclaves-otages chrétiens. Malheur aux pauvres qui ne pourront pas se racheter ; ils finiront esclaves, rameurs sur les galères barbaresques.
C’est notamment sous cette forme que les Corses la connaissent jusqu’au début du XIXe siècle comme le montre Antoine-Marie Graziani, et il ne faut pas s’étonner que cette terreur pluriséculaire ait nourri l’imaginaire des artistes au point de représenter dans nos tableaux d’église, malgré l’anachronisme évident, le barbare musulman sous les traits du païen romain tourmentant les premiers martyrs chrétiens, comme l’a montré la communication richement illustrée de Michel-Edouard Nigaglioni.

En temps de guerre entre les puissances, c’est-à-dire presque tout le temps, on voit apparaître les corsaires, ces mercenaires qui mettent leurs navires et leur savoir-faire au service des belligérants. Théoriquement ils ne sont pas des pirates, ce sont des combattants réguliers nous dit Jean-Christophe Liccia qui les a étudiés pour la période du royaume anglo-corse. Parfois cependant cette distinction s’estompe quand l’occasion d’une bonne aire se présente. Fernand Braudel en donne maints exemples dans son livre sur la Méditerranée au temps de Philippe II.

Comment se défendre contre ces incursions incessantes ? Dès le début du XVIe siècle, les populations s’organisent, demandent à Gênes l’autorisation de construire des tours de guet et de défense et en financent la construction. Plus tard, nous dit Romuald Casier, les Génois rationaliseront ce chapelet de tours en en faisant un rempart homogène pour défendre l’île dans son ensemble et surveiller le trafic maritime.

La Méditerranée, on le sait, est une mer dangereuse surtout en hiver et aux équinoxes. La densité du trafic maritime et du cabotage a pour rançon le grand nombre des naufrages ; et les populations côtières, invoquant le « droit de bris », en profitent quand ces naufrages se font sur des lieux accessibles. Ira-t-on jusqu’à dire qu’elles ont provoqué les naufrages ? On l’a dit pour les Bretons et ils s’en sont défendus en faisant remarquer que bien souvent, quand le naufrage était inévitable, on a guidé les marins vers les lieux les plus favorables à un échouage. Le naufrage de « la Parthénope » en février 1818, sur le territoire de Centuri a donné lieu à une enquête et à des condamnations pour pillage, vol et recel. Peut-on aller plus loin dans le soupçon ? Michel Vergé-Franceschi s’y risque avec la prudence nécessaire. Si l’hypothèse était vérifiée nous aurions là un autre type de piraterie qui serait en quelque sorte le négatif de la piraterie maritime ; à « Mare furioso » Terra crudele !

Georges Ravis
Préface du recueil des conférences « Cap Corse et Piraterie »

La publication des conférences sur le thème du Cap Corse et de la piraterie est disponible au prix de 14 euros.